Mille mains n”5

 

Episode : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 -12 - 13 - 14 - 15 -

 

Episode 1 Š par Sibylline

 

- Entrez! Entrez donc, ma chre Marguerite. Je vous attendais
- C'est que je suis trempŽe, je vais tout vous mouiller.
- Pensez-vous! C'est du carrelage. Ca ne craint rien. Entrez donc, venez vous mettre ˆ l'abri.
- Quel temps, vraiment! Un vrai dŽluge. Si je ne vous avais pas promis de passer pour le thŽ, jamais je ne serais sortie de chez moi aujourdÕhui. Il nÕy a dÕailleurs personne dehors, Žvidemment.
- Venez donc par ici. Posez votre manteau. Voilˆ, mettons le lˆ, il va sŽcher.
Les deux femmes passent dans le salon. Un feu bržle dans la cheminŽe de la vieille maison, ajoutant ˆ lÕatmosphre de confort douillet. On entend bien la pluie qui bat sur les carreaux, mais ici, on se sent vraiment hors de son atteinte, ˆ lÕabri, bien au chaud. Ici, tout est doux. Il ne peut rien arriver de dŽsagrŽable.
Marguerite sÕassoit, dans un des deux fauteuils qui entourent la cheminŽe. Elle est encore un peu surprise dՐtre lˆ. CÕest que ClŽmence invite si peu de monde! Tous ceux qui, un jour, ont eu cet honneur ont fait le rŽcit dÕun accueil trs soignŽ. Petits fours et thŽs des meilleures qualitŽs, potins choisis, discussions passionnantesÉ
Pour toute autre invitation, Marguerite se serait dŽcommandŽe en cet aprs-midi de tempte, mais celle-ci, impossible. Elle nÕavait mme pas compris ce qui lui avait valu, cette semaine, dÕentrer parmi les Žlus. A peine si jusque lˆ, ClŽmence la saluait dans la rue dÕune inclination de la tte, et voilˆ que tout soudain, comme elle achetait des lŽgumes lÕautre jour, au marchŽ, elle lÕarrte et lÕinvite sans plus de manires ˆ venir prendre le thŽ. Marguerite en avait ŽtŽ si surprise quÕelle en Žtait restŽe un moment ˆ gober lÕair ˆ grand renfort de mouvements des lvres, sans pouvoir rŽpondre. CÕest finalement avec les pires difficultŽs quÕelle avait rŽussi ˆ faire comprendre quÕelle acceptait et avec plaisir. Et elle Žtait lˆ.
ClŽmence observe son invitŽe en dŽposant devant elle un plateau ŽlŽgant, abondamment pourvu en p‰tisserie fines et en tasses de porcelaine. Elle la devine gourmande, goinfre peut-tre mme et sensible au snobisme aussi, sžrement. Elle va la g‰ter.
Ainsi, cÕest cela son ennemie ? Pas grand-chose vraiment. Comment cette bonne femme avait-elle pu oser se mesurer ˆ elle, la menacer ? Elle lui sourit, le plus gentiment du monde.
- Cela va mieux ? Pas trop mouillŽe? Vous nÕavez pas froid au moins ?
- Non, non, cela va trs bien. Je vous remercie. Vous avez vraiment un trs joli salon, trs confortable.
- Je suis contente quÕil vous plaise. JÕai fait appel ˆ Morier, le dŽcorateur de Paris, vous savez ?
- Oui, oui, il vous a fait du trs joli travail.
- Vous nՎtiez pas encore venue ? interroge ClŽmence qui le sait mieux que quiconque, Tenez, prenez donc de ces g‰teaux.
Rapidement, Marguerite se sent parfaitement ˆ lÕaise. Elle pioche sans faire plus de manires dans les petits fours et vide sa tasse. Elle est aux anges. Longtemps quÕelle nÕavait ŽtŽ si bien traitŽe. Un profond sentiment de bien tre lÕenvahit, auquel ne tarde pas ˆ se mler une sorte de somnolence. ClŽmence lui parle maintenant du culot quÕont certaines personnes qui nÕhŽsitent pas ˆ prendre un risque inconsidŽrŽ en tentant de faire chanter dÕautres personnes qui sont dÕune toute autre carrure. Ca cÕest sžr. Hihihi. De quoi parle-t-elle donc ? Faire chanter ? On ne voit a que dans les romans. De quoi lui parle-t-elle donc ? Marguerite a du mal ˆ Žcouter. CÕest comme si elle sÕendormait. CÕest trs doux. Un assoupissement quiet. DÕailleurs a y est, elle sÕendort.

ClŽmence, le regard froid, contemple le corps ŽtalŽ sans gr‰ce sur sa carpette. Comment cette sotte de Marguerite avait-elle pu oser ? Il Žtait impossible dŽjˆ de comprendre comment elle avait devinŽ son secret, mais la faire chanter ! Lˆ, vraiment, cՎtait insupportable. Heureusement quÕelle avait reconnu sa voix, lÕautre jour, au marchŽ. Restait que le corps Žtait lˆ et quՈ bien y regarder, il devait facilement atteindre ses 100KgÉ

Le tŽlŽphone sonna. ClŽmence dŽcrocha.
- Je sais ce que vous avez fait, lui assura, comme les autres fois, une voix chuintante

 

Episode 2 Š par Loupbleu

  - Qui est ˆ lÕappareil ? Que voulez-vous ?

Mais on a dŽjˆ raccrochŽ. ClŽmence a reconnu la mme voix chuintante que celle Marguerite, tra”nante, provinciale : ˆ sÕy mŽprendre. Combien de personnes ont ce mme accent, dans le pays ?

De rage, elle serre le poing, puis se reprend. Comment a t-elle pu commettre une telle erreur ? Non dŽcidŽment, cette grosse Marguerite Žtait bien incapable de chantage, elle nÕaurait pas pu en avoir lÕidŽe ! ClŽmence la considre un instant avec compassion : toute une vie ˆ radoter, ˆ commŽrer entre voisines, ˆ Žplucher les lŽgumes, et ˆ se goinfrer de sucreries. A faire de la broderie ou du tricot ? DŽcidŽment, elle nÕarrive pas ˆ avoir de remords : a nÕest pas plus mal pour elle.

Cent kilos de viande sur le carrelage, cÕest une affaire ! Comment peut-elle sÕen dŽbarrasser ? Un moment, ClŽmence pense mme ˆ la dŽcouper pour la transporter ; il y a bien le couteau ˆ dŽsosser dans le tiroir de la cuisine É Mais le carrelage nÕa beau pas t‰cher, elle renonce. Non, elle nÕa quՈ la pousser jusquՈ la porte qui mne ˆ la cave, et puis la faire glisser dans lÕescalier.

Bon dieu, que cÕest dur, quÕelle est lourde ! Encore plus lourde morte que vivante ! ClŽmence y met toute son Žnergie, la sueur lui coule du front, ce qui, pour une femme de son standing, ne se fait pas. Elle sort un mouchoir blanc ˆ dentelles et sՎponge. Le corps fait un vacarme de tous les diables en dŽgringolant en bas de lÕescalier. La maison est isolŽe, personne nÕaura rien entendu.

Le cadavre de Marguerite repose maintenant sur la terre battue. Je lÕenterrerai plus tard se dit ClŽmence. EssoufflŽe, elle se repose un instant sur un outil de jardinage. DŽcidŽment, le poison est quand mme plus efficace que la serfouette ! Son regard se pose maintenant sur le trou quÕelle a creusŽ, jadis. CՎtait aussi un jour de tempte. Il nÕy aura pas de place pour un troisime cadavre.

Mais qui peut bien tre au courant ? Qui donc a lÕaudace de É Non, ce nÕest pas possible de continuer comme a, de rester ˆ lÕaffžt, sur le marchŽ, de lÕinflexion dÕune voix qui lui rappellerait celle du ma”tre chanteur. Et cŽder ? Ca, jamais ! CÕest hors de question, a nÕest pas dans ses principes ! DÕailleurs, on ne lui a rien demandŽ jusquՈ prŽsent. CÕest un point qui lÕintrigue quand mme beaucoup. Ni argent, ni bijoux. Ou alors É Sait-il ce ma”tre-chanteur ce quÕelle cache au grenier ? Non, cÕest impossible, personne nÕa jamais ŽtŽ au courant É

Un bruit tire ClŽmence de ses pensŽes. QuelquÕun a sonnŽ ˆ la porte dÕentrŽe. Elle remonte lÕescalier quatre ˆ quatre. Elle nÕa pas tout ˆ fait repris son souffle. Elle regarde autour dÕelle : la table basse avec les deux tasses et les deux soucoupes. Le manteau encore humide de Marguerite.

On sonne une seconde fois.

Episode 3 Š par Lyra Will

ClŽmence dŽbarrasse rapidement la petite table, entasse les petits fours, dŽpose les soucoupes sur le plateau.
Les tasses sÕentrechoquent dans un raffut incroyable, comme pour protester contre ce maltraitement inhabituel.
Elle sÕactive, pose le tout sur la table de la cuisine, referme la porte, puis dissimule le manteau dans le placard, arrosant les chaussures parfaitement alignŽes par terre. ClŽmence grimace. Elle mÕaura agacŽe jusquÕau bout celle-lˆÉ

Elle arrange ses cheveux une seconde. Affiche un grand sourire. Puis ouvre la porte dÕun air dŽcidŽ mais aimable.
- É ?
ClŽmence regarde ˆ gauche, ˆ droite, il nÕy a personne.
Encore un minable reprŽsentant, pas fichu de patienter trente seconde ces gens-lˆ.
EnfinÉ je ne vais pas mÕen plaindre, quÕil reste sous la flotte.

A peine a tÕelle refermŽ la porte que la sonnette retentit une nouvelle fois. Disparu le sourire faussement aimable. Elle ouvre, prte ˆ mordre celui ou celle qui se trouvera devant cette maudite porte.

- MaÉ
Elle reprend son souffle, au prix de gros efforts.
- Marguerite !!!
Elle ferme les yeux le temps dÕun Žclair, secoue la tte, regarde ˆ nouveau. Personne.
Elle se dit que cette histoire de chantage lÕaffecte plus que ce quÕelle veut bien admettre. Elle rit nerveusement, puis son regard se pose sur le paillasson, furtivement. Elle cligne. Jette ˆ nouveau un Ļil. Une enveloppe.
Et cette fois elle ne rve pas.
Elle lÕattrape rapidement, ferme la porte, puis sÕassoit dans le fauteuil. QuÕest-ce que a peut bien tre ? De la rŽclame ? Il nÕy a rien dÕindiquer, pas dÕadresse, de nom.
Elle est assez grande, assez lourde.
Si cÕest encore une dŽclaration de lÕimbŽcile de Robert, je lÕinvite lui aussi ˆ prendre le thŽ cette semaine.
Elle dŽchire avec peu de classe le haut de lÕenveloppe, et sort une petite bo”te noire. CÕest comme les poupŽes russes ce truc lˆ ! JÕespre que a vaut le coup, dit-elle en marmonnant.
La boite noire sÕouvre facilement.
ClŽmence, sous le choc, la laisse sՎchapper, Žparpillant ainsi sur le carrelage toutes les photos quÕelle contenait. Pleurant de rage, elle les regroupe, et les regarde attentivement.
Quelques photos de ses victimes, sans grande importance, et puis cette photo. Personne ne peut lÕavoir. Personne nÕa pu lÕavoir.

Elle sÕessuie les yeux.
LÕimage est un peu vieilli, un peu terne.
Deux petites filles jouent sur la photo. Environ 8 ans, trs complices. Elles se ressemblent assez pour tre de la mme famille.

Elle pose le paquet de photo sur la table, toute retournŽe. Elle ne parvient pas ˆ se calmer, il ne faut pourtant pas perdre ses moyens.
Il ne vaut mieux pas attendre pour enterrer le corps, le plus t™t sera le mieux.

Elle sÕengouffre dans lÕescalier.

Episode 4 Š par Tistou

CÕest la porte, ouverte violemment, puis la lumire, crue, brutale, tombŽe subitement dÕune ampoule nue, bizarrement tordue au bout des deux fils Žlectriques tire-bouchonnŽs, qui rŽveillrent Marguerite.
LÕodeur de patates humides, une douleur ˆ la jambe droite et un curieux Žtat nausŽeux la plongrent dans un Žtat de stupeur. Marguerite cligna pŽniblement des yeux Š cette lumire, vive, lui vrillait le cr‰ne Š et vit des jambes, des jambes de femme qui apparaissaient progressivement dans lÕescalier en partie masquŽ par des Žtagres ˆ mi-hauteur. Que diable É ?
Mais elle vit ces jambes sÕimmobiliser, lentement. Comme ˆ regret pivoter. Puis amorcer un mouvement de remontŽe. Doucement. Silencieusement. La dernire jambe disparžt et la lumire sՎteignit. Marguerite gŽmit plaintivement.

ClŽmence dŽboucha de lÕescalier de la cave aprs avoir Žteint la lumire tous sens aux aguts. On parlait. On parlait devant chez elle ! Mais ils sՎtaient donnŽs le mot !
Une voix dÕhomme. Intelligible mais bizarremment haut perchŽe.
ClŽmence connaissait cette voix. Robert ! Non, pas lui ! Pas lui et pas maintenant ! DŽja quÕen temps normal elle ne supportait pas ses assiduitŽs maladroites de vieux garon de cinquante ans É Lˆ trop, cՎtait trop !
Mais lÕautre voix. Quelle Žtait lÕautre voix. Elle semblait sÕestomper, sՎloigner.
Ē Au revoir Madame. Oui, je lui dirai, nÕayez crainte Č. Ca cՎtait Robert. Qui donnait lÕau-revoir ˆ une femme ?
ClŽmence entendit les pas mal assurŽs de Robert se rapprocher. Le rythme ralentir Šil montait les quatre marches du perron É Plus rien. LÕexaspŽration de ClŽmence menaait dÕexploser. Mais quÕest-ce quÕil fichait ?
Ca grattait, lˆ derrire la porte, grattait comme É Puis un bruit de dŽchirure. Une feuille de papier quÕon arrache dÕun carnet. Cet idiot allait repartir. En mme temps quÕelle retenait un soupir de soulagement, elle comprit que si elle voulait conna”tre lÕidentitŽ de celle qui tra”nait devant chez elle É
Elle se passa fŽbrilement les deux mains dans les cheveux, respira un grand coup et brutalement ouvrit la porte dÕentrŽe.
De surprise, Robert se tordit la cheville, gauche. (Essayez voir de descendre des marches et ex abrupto vous retourner brutalement alors que le pied nÕest pas encore posŽ sur la marche !).
Il Žtait encore plus ridicule que de coutume, dŽgoulinant dÕeau, grimaant de douleur et dans le mme Žlan t‰chant de sourire ˆ la dame de ses rves.
Ē ClŽmence ? Č
Ē Robert ! Mais que faites-vous lˆ ? Et É vous avez mal ? Č
Ē Ce nÕest rien, ClŽmence Š et son masque de douleur disait tout le contraire Š JՎtais venu vous inviter et puis cette dame mÕa dit que vous nՎtiez pas lˆ, alors É Č
Ē Cette dame ? le coupa ClŽmence, quelle dame ? Č
Ē Une dŽnommŽe Eliane. Votre ‰ge environ. Mais elle fait bien ses cinquante, se cržt-il obligŽ dÕajouter pour se rattraper. Elle a sonnŽ mais elle dit que personne nÕa ouvert, alors elle vous fait dire É Č
ClŽmence avait p‰li. Tout ˆ lÕheure la photo. Et lˆ, Eliane É Non, pas lÕEliane de la photo !
Comme si a ne suffisait pas, des cris ŽtouffŽs arrivaient, de lÕintŽrieur :
Ē Au secours ! Au secours !Č
Ē Vous nՏtes pas seule peut tre ? Vous allez bien ClŽmence, vous tes toute p‰le. ClŽmence ? Č
ClŽmence ne vit pas Robert remonter grotesquement les marches de lÕescalier en claudiquant la main tendue. Devenue chiffe molle, elle sՎtait affaissŽe, inanimŽe.

Episode 5 Š par Charles

- Elle mÕa poussŽ dans lÕescalier, je vous dis !
- Voyons Marguerite, calmez vous ! Je connais bien ClŽmence É
- CÕest une folle !
- É elle est incapable de faire du mal ˆ une mouche É
- une cinglŽe !
- É cÕest la douceur incarnŽe É
- une malade ˆ enfermer !

ClŽmence ne savait que faire ! Avachie dans un des fauteuils du salon, elle nÕosait bouger de peur quÕils ne sÕaperoivent de son rŽveil. Elle attendait, les yeux clos, le cerveau en Žbullition ˆ la recherche dÕune porte de sortie. Elle sÕen voulait de ne pas avoir augmentŽ la dose ! Ce quintal graisseux avait supportŽ le poison comme un vulgaire petit somnifre. Et ce corniaud de Robert qui lՎventait avec la photo dÕelle et Eliane prise quarante ans plus t™t !

Quand Robert, cinquante kilos pour un mtre soixante, et Marguerite, format gorille , commencrent ˆ se disputer le tŽlŽphone pour appeler, selon le vainqueur, le samu ou la police, ClŽmence se dŽcida ˆ rŽagir.

- Aaaaaaaaaarghh, lana tÕelle.
- ClŽmence, ma douce, vous allez bien ?

Marguerite profita de lÕinstant pour se prŽcipiter en direction du fauteuil et de ClŽmence. Sous lÕimpact du plaquage, celui-ci se renversa, emportant au passage table basse et photos. Marguerite soufflait et suait fort en essayant, furieuse, dՎtouffer son h™te. Robert ne savait que faire et gesticulait en tous sens en criant.

Il tira de toutes ses forces sur lՎpaule de Marguerite qui ne bougeait pas dÕun pouce. Il la poussa, la frappa sans aucun effet. Et ClŽmence qui rougissait ˆ vue dÕĻil. Il saisit alors une petite bžche dans lՉtre et enflamma la chevelure de Marguerite ! CelleŠci se leva pŽniblement, et prise de panique, se mit ˆ sÕagiter en tous sens ˆ la recherche dÕeau. Elle pris alors vite la direction du perron et sՎlana dÕune vive chevauchŽe ŽlŽphantesque vers la pluie battante.

La porte dÕentrŽe fracassŽe, elle glissa ds la premire marche et sÕaffala de toute sa gr‰ce dans le parterre de nains de jardins, explosant Simplet dÕun joli coup de boule.

- Vous lÕavez tuŽ, Robert ! lana ClŽmence, soulagŽe.
- Je vous en achterai un autre !
- Je vous parle de Marguerite, abruti !!
- Mais lˆ, non, cՎtait pour vous protŽger É je ne voulais pas Éenfin É
- Il faut vite la transporter ˆ lÕintŽrieur !
- Appelons dÕabord une ambulance, non ?
- Elle est morte, je vous dis ! et de toute faon, a vaut mieux pour vous, vous risqueriez la prison !

ClŽmence sÕen sortait bien ! Elle allait pouvoir embobiner le serviable Robert avant de sÕen dŽbarrasser. Elle sÕoccuperait du cas dÕEliane plus tard !

Episode 6 Š par Spirit

Pourtant un petit dŽtail attira lÕattention de ClŽmence. Un petit dŽtail incongru du c™tŽ du nain de jardin ou plut™t de ce quÕil en restait. Un petit dŽtail qui pourrait se rŽvŽler de la plus haute importance. ClŽmence nÕavait jamais mis de nain de jardin sur sa pelouse, ni Simplet, maintenant en mille morceaux, ni aucun des autres qui tr™naient lˆ devant elle et semblaient la narguer du haut de leur cinquante centimtres.
La voix de Robert la tira de ses questions :
- Je crois quÕelle respire !
- Comment ? Qui respire ?
- Mais enfin Marguerite, elle respire, elle nÕest pas morte.
- Pas morte ? Zut alors ! elle a la peau dure !
- ClŽmence !
- Je veux dire que cÕest une sacrŽe chance que vous avez, enfin quÕelle a. Aprs une telle chute.
- Regardez, elle ouvre les yeux. Vous allez bien Marguerite ?
Marguerite posa son regard sur Robert et ClŽmence et sans dire un mot se mit sur ses pieds comme si de rien n'Žtait. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit.
- Vous allez bien ? demanda ˆ nouveau Robert voyant la situation prendre un tour inattendu. Il vaudrait mieux que nous retournions nous asseoir.
Ce faisant-ils regagnrent tous les trois le salon de ClŽmence. ClŽmence dont les yeux ne quittaient pas les nains de jardin et dont le cerveau avait du mal ˆ prendre en compte la prŽsence chez elle de ces objets ridicules et laids. Robert une nouvelle fois rappela ClŽmence ˆ la rŽalitŽ.
- ClŽmence !Que faites-vous ˆ la fentre ? Il faudrait que nous parlions de ce qui vient de se passer. ClŽmence ? É.ClŽmence ? Mais nom de dieu ClŽmence vous dŽrayez ou quoi ? Je vous parle.
ClŽmence dŽtourna son regard de la fentre pour le porter sur Robert et dans ses yeux passrent toutes les idŽes de meurtre et de massacre que la terre ait connu. Robert avala sa salive avec difficultŽ et sembla sÕenfoncer dans le fauteuil avec lÕespoir de dispara”tre au milieu des coussins, ce quÕil ne parvint pas ˆ faire bien entendu.
- Oui vous avez raison Robert. Comment va Marguerite ? demanda t-elle en reprenant un ton tout sucre tout miel.
- Je vais bien ma chre ClŽmence, je ne sais pas ce qui mÕa prisÉ Je ne sais pas ce qui mÕa prisÉ Je ne sais pas ce qui mÕa pris.
- Vous tes certaine que tout va bien Marguerite ? vous semblezɎtrange. Peut-tre le choc a- t-il Žtait plus dur que nous le pensions, balbutia Robert prs de cŽder ˆ la panique.
- Ma pauvre ! Il faudrait peut-tre voir un mŽdecin, sÕinquiŽta ClŽmence sÕengluant de plus en plus dans ses paroles mielleuses. Vous semblez en effetÉenfin, pas dans votre Žtat normal.
- Je vais trs bienÉParfaitement bienÉExcellemment bienÉSuperbement bienÉOui je vais bienÉJe vais trs bienÉ
En mme temps quÕelle disait cela ClŽmence remarqua quՎmanait de son amie comme une aura Žlectrique, de petites Žtincelles. Comme si Marguerite Žtait en plein court-circuit.
Une idŽe, saugrenue dans lÕinstant, lui vint ˆ lÕesprit et puis aussit™t elle revit la porte dÕentrŽe littŽralement projetŽe dans le jardin ˆ la suite du choc. Certainement que se relever aprs un choc pareil sans aucune Žgratignure, tenait du pur miracle. Ou bienÉMais ses pensŽes furent interrompues par Robert.
- Au fait, ClŽmence, avec tout cela jÕallais oublier de vous donner ceci de la part de votre amie Eliane. Il lui tendait un petit bo”tier muni dÕune multitude de touches de couleurs diffŽrentesÉ

Episode 7 Š par Bluewitch

ŹŹŹOn avait quittŽ le dŽsastre pour entrer dans le chaos. Un chaos bien Žpais qui laissait ClŽmence stupŽfaite. Elle qui avait toujours gardŽ le contr™le depuis le jour o elle avait ŽtŽ capable de parler, lˆ, le sol avait choisi la tendance sables mouvants.
ŹŹŹElle nÕy comprenait plus rien.
ŹŹŹElle sÕempara de la bo”te dans un geste rageur. Quelle utilitŽ, quel sens cela pouvait-il bien avoir ? Mme le sentiment de familiaritŽ que lui inspirait lÕobjet ne suffisait pas ˆ la sortir de son effarement.
ŹŹŹ- Vous nÕauriez pas un thŽ, sÕil vous pla”t ? demanda Marguerite. JÕai si soif. Vous nÕauriez pas un thŽ ?
ŹŹŹAlors lˆ ! Robert fit mine de sÕen occuper mais ClŽmence sÕempressa de lÕen empcher.
ŹŹŹ- DŽsolŽe, Marguerite, je nÕen ai plus.
ŹŹŹ- Quel dommage ! Vous nÕavez pas de thŽ ? JÕaurais tellement aimŽ un thŽÉ
ŹŹŹClŽmence commena ˆ se demander si cette vielle bigote nՎtait pas en train de se jouer dÕelle.
ŹŹŹIl fallait rŽflŽchir. Ne supportant plus la vue de la transpirante et soufflante Marguerite, elle laissa son regard vagabonder ˆ lÕextŽrieur, revenant nerveusement sur les boutons multicolores du bo”tier sans en trouver lÕutilitŽ. De nouveau ˆ lÕextŽrieur. Sur la bo”te. A lÕextŽrieur. Sur la bo”te. A lÕextŽrieur. Sur laÉ
ŹŹŹIls avaient bougŽ. IndŽniablement. Ils avaient bougŽ. Elle sÕapprocha de la fentre, et remarqua que les membres Žpars de Simplet avaient ŽtŽ rassemblŽs, le reconstituant plus ou moins. Les autres nains formaient un cercle autour de lui etÉ
ŹŹŹUn Žclair transpera le ciel et tomba en plein dans sa pelouse, aveuglant ClŽmence qui poussa un juron et se retourna vers les deux autres. Aprs quelques instants, elle sentit le bras de Robert sous le sien et vit que Marguerite Žtincelait et pŽtillait tant et plus. Elle aussi avait dž avoir le coup de foudre en sՎtalant ˆ lÕextŽrieur car elle dŽvorait Robert des yeux et semblait trs agitŽe. Peut-tre les effets secondaires du poison. Il devait lÕavoir endurcie et dŽrŽglŽe en mme temps. Cette Marguerite Žtait vraiment bizarre.
ŹŹŹOn frappa ˆ la porte.
ŹŹŹPeut-tre Žtait-ce Eliane ? ClŽmence manqua un battement de cĻur. Si cՎtait elle alorsÉ tout pouvait compltement pŽricliter. Tout ce quÕelle avait maintenu jusque lˆ, le secret, la solitude, lÕidentitŽ qui avait ŽtŽ la sienne depuis vingt-sept ans.
ŹŹŹClŽmence se tourna vers lÕentrŽe, ne cessant dÕagiter nerveusement les doigts sur les touches du bo”tier. Inutile dÕouvrir la porte, compltement fracassŽe, pour sÕapercevoir quÕil nÕy avait personne derrire. Non, seulementÉ Si elle ne rvait pas, un des nains se tenait lˆ, sur le palier, lÕair rŽjoui. ClŽmence pensa quÕil devait sÕagir de Joyeux, une seconde seulement avant de se sentir faible et de laisser tomber le mystŽrieux bo”tier qui sÕouvrit en deux. A lÕintŽrieur, il y avaitÉ

Episode 8 Š par Kicilou

ŹŹŹÉdes boules de gommeÉ Une dizaine de grosses boules de gomme de toutes les couleurs qui tintrent joyeusement sur le carrelage et s'Žparpillrent aux quatre coins de la pice comme des calots ŽchappŽs de la poche d'un Žcolier.
ŹŹŹClŽmence laissa Žchapper un faible cri, entre gŽmissement et supplique avant de s'affaisser pitoyablement, ˆ mme le sol, la tte dans les mains. Robert compltement dŽpassŽ par les Žvnements s'appliquait ˆ lui caresser maladroitement le dos en se demandant s'il ne tenait pas lˆ sa seule chance de pouvoir enfin la serrer dans ses bras - et plus si affinitŽ. ClŽmence parlait toute seule :
Š Non, je ne veux plus les voire, personne ne me forcera ˆ les regarder, c'et moi qui ai le contr™le, moi. Les autres ne sont rienÉ Ces nainsÉ C'est ˆ cause d'elle tout a ! Elle me nargue mais je suis la plus forte !
ŹŹŹRobert commenait ˆ s'inquiŽter franchementÉ Sa muse, la femme de sa vie, l'incarnation de son idŽal fŽminin Žtait en train de perdre les pŽdales. C'Žtait une situation qui dŽpassait de beaucoup les capacitŽs de raisonnement du pauvre homme qui ne savait plus que faire de ses mains. De baladeuses, elles Žtaient devenues timides face ˆ cette marmonnante personne, qui ressemblait de moins en moins ˆ sa ClŽmence adorŽe. C'est en faisant rouler distraitement une boule de gomme que Robert eut une idŽe lumineuse pour la distraire de ses sombres pensŽes.
Š Saviez-vous que je dŽtiens un record du monde ! Parfaitement ! Depuis l'‰ge de 12 ans, je dŽtiens le record du monde de la plus grosse bulle de chewing-gum ! Ces splendides boules de gomme vont me permettre de vous faire une dŽmonstration Žclatante !
Š Qu'est-ce que vous faites ? s'alarma ClŽmence en fixant Robert d'un Ļil hagard.
Š Regardez, vous allez constatez par vous-mme ! rŽpliqua-t-il joyeusement en portant une des friandises ˆ sa bouche aprs l'avoir frottŽe sommairement sur le revers de sa veste.
Š Arrtez !! hurla ClŽmence en lui faisant l‰cher prise d'une grande claque sur la main.
ŹŹŹLa boule de gomme s'en alla rouler droit dans la flaque d'eau laissŽe prŽcŽdemment par le manteau de Marguerite. Robert regarda avec consternation le sucre qui enrobait l'appŽtissante friandise fondre en colorant progressivement la nappe de liquide d'une jolie teinte vert bouteille.
ŠNe touchez pas ˆ a ! hurlait ClŽmence, visiblement furieuse.
Š A la boule de gomme ? s'Žtonna Robert ; ce n'est pas la peine de se mettre dans un Žtat pareil pour un bte chewing-gum fondu !
ŹŹŹIl sortit le bonbon de sa mare verte avec l'intention de le jeter ˆ la poubelle. Dans le creux de sa main, la boule ne collait pas. Elle arborait une Žtrange teinte blanch‰tre striŽe de rouge. Il la fit rouler doucement du bout du doigt. La sphre prŽsentait une Žtrange tache ronde et noire elle-mme entourŽe d'une aurŽoles marronÉ
Š C'est dr™le, on dirait que le chewing-gum me regarde !
ŹŹŹClŽmence poussa un gŽmissement consternŽ et se cacha ˆ nouveau la tte dans les mains. Robert, quant ˆ lui, observait plus attentivement les restes de la boule de gomme, sentant une sueur tide - pourquoi devrait-elle tre froide ? - couler doucement le long de son dos.
ŹŹŹSoudain, quelque chose s'accrocha ˆ la jambe de son pantalon. Il baissa les yeux pour dŽcouvrir, tirant sur le tissu d'une main fermeÉ un nain de jardin souriant ! Robert p‰lit.
ŹŹŹLe petit tre lui tendait une boule qui ressemblait Žtrangement au chewing-gum fondu. Sur son visage, une orbite vide.

Episode 9 Š par Kilis

ŹŹŹClŽmence, quant ˆ elle, avait subitement retrouvŽ ses esprits et le voyant sur le point de sՎvanouir :
Ń Venez lˆ, Robert, venez vous asseoir, lÕinvita-telle dÕune voix douce.
Et, ce disant, elle lÕentra”na jusquÕau canapŽ.
Ń Je vais nous servir un petit remontant, ajouta-telle, nous avons ˆ parler, nÕest-ce pas ?
ŹŹŹIl se laissa faire comme un enfant. Toute volontŽ propre lÕavait abandonnŽ. Il la regarda remplir deux verres dÕune liqueur de teinte verte, de la Chartreuse, sans doute, quÕil sirota avec plaisir. ClŽmence avait pris place ˆ ses c™tŽs trs prs de lui, contre lui, ses cuisses chaudes touchant les siennes. Il se sentait Žtrangement bien. Elle parlait, parlait, que disait-elle ? Il aurait ŽtŽ bien incapable de le dire. Les mots ne trouvaient plus en lui aucun Žcho, il ne recevait plus de cette voix suave que la musique.
ŹŹŹEt ainsi bercŽ, bŽatement, il sÕendormit.
ŹŹŹIl fit un rve Žtrange, il se trouvait devant un miroir qui ne reflŽtait pas son visage mais celui de la reine dans Blanche-neige et la reine lui parlait avec la voix envožtante de cette actrice quÕil aimait tellementÉ il
ne retrouvait pas le nomÉ AnneÉ JeanneÉ

Ń Jeanne ! Jeanne Moreau !

ŹŹŹRobert Žmergea de sa rverie, maisÉ que sՎtait-il passŽ ? Il ne se trouvait plus assis sur le canapŽ, mais il Žtait couchŽ dans la clartŽ ondoyante dÕun feu de bois, sous une couverture trs douce, non, plut™t une fourrure, une fourrure dont il sentait la caresseÉmais alors ? Il se t‰ta le corps pour sÕen assurer : il Žtait nu. Il se redressa quelque peuÉ ˆ ses cotŽs dormait ClŽmence, elle avait le visage dÕun ange. Etait-elle nue elle aussi ? Fureter sous la fourrure, il nÕosait pas.

Ń Je ne dors pas vous savez ! le surprit-elle.
Ń É
Ń Vous rviez mon ami ? vous avez criŽ Jeanne ! Jeanne !Jeanne Moreau !

ŹŹŹEtait-ce un rve ou un cauchemar, Robert nÕaurait pu trancher, il Žtait perdu, fallait-il rŽagir, se lever ou laisser tomberÉ et se rendormir, aprs tout rve ou cauchemar quelle importance, la situation nՎtait pas si pŽnible ? En fin de compte, il dŽcida de se rŽsoudre ˆ la deuxime option, mais il avait envie de pisser et :

Ń O sont les toilettes ? demanda-t-il ?
Ń Lˆ mon amour, fit-elle, en sortant gracieusement un bras de sous la fourrure, lui dŽsignant une porte ˆ gauche de la cheminŽe.

ŹŹŹComme il Žtait un peu gnŽ de se lever dans le plus simple appareil, il sÕempara dÕun coussin pour sÕen couvrir le sexe et il sÕen fut ainsi, penaud, dans la direction indiquŽe. Sur une table basse, animŽes par la mouvance des flammes il y avait une sŽrie de sept figurines colorŽes, les sept nains de Blanche Neige qui semblaient ricaner.

Episode 10 Š par Krystelle

ClŽmence se leva, enfila un peignoir et inspecta rapidement les lieux. Tout Žtait en ordre ˆ prŽsent et il Žtait devenu presque impossible dÕimaginer ce quÕil sՎtait passŽ ici la veille. Mais Eliane nՎtait pas revenue uniquement pour ressusciter les sept nains. Elle avait voulu montrer ce dont elle Žtait capable et allait de nouveau lancer lÕoffensive. Il fallait absolument tre vigilent.
ClŽmence Žtait plongŽe dans ses pensŽes lorsque Robert sortit de la salle de bain.
- Euh, pardonnez moi, je suis un peu, comment dire, ennuyŽ, mais je ne me souviens plus vraiment de tout ce qui sÕest passŽ hier et É
- Robert ! Vous mÕoffensez !
Les joues de Robert prirent soudain une couleur pourpre, il reprit, confus :
- Ah bien sžr, mais o avais-je donc la tte ! Et donc, mes vtements sontÉ
- Au pied du lit, naturellement !
- NaturellementÉ
Robert, devenu Žcarlate, fit volte face, positionna le coussin sur son arrire-train et partit, piteux, ˆ la recherche de ses affaires.

Bon, Robert, cՎtait rŽglŽ. ClŽmence prit ensuite une petite clŽ sur le rebord de la cheminŽe, traversa le couloir et ouvrit la porte de la chambre dÕami. AllongŽe sur le ventre, la bouche grande ouverte, Marguerite dormait, laissant Žchapper un bref chuintement ˆ chaque expiration.
- MargueriteÉ MargueriteÉMARGUERITE !
- Hein ? Quoi ? Comment ? Plait-il ?
- Comment vous sentez-vous, aujourdÕhui?
Le regard vaporeux, Marguerite avait lÕair totalement dŽsorbitŽe. Elle bafouilla quelques mots inaudibles.
- Pardon ? Que d”tes-vous ?
- Dormeur, oui dormeur, repritŠelle laborieusement
- Je ne comprends rien ˆ ce que vous d”tes Marguerite, vous dŽlirez ma pauvre amieÉ
- Oui, cÕest Dormeur mon prŽfŽrŽ, et vous ? Et elle se rendormit aussi sec.

ClŽmence, rassurŽe, quitta la pice et referma la porte ˆ clŽ. Maintenant, elle pouvait se prŽparer ˆ contre-attaquer. Et elle nÕavait plus le choix il lui fallait employer les grands moyens ! DÕun pas sžr, elle gravit les quelques marches qui menaient au grenier. Au fond dÕune caisse en bois et sous une pile livres poussiŽreux, elle retrouva la veille bo”te en fer quÕelle cherchait. Soudain un flot de souvenirs la submergea. Elle ne lÕavait pas ouverte depuis des annŽes et sՎtait jurŽe de ne plus jamais y toucher ; mais il fallait quÕelle le fasse, sa libertŽ en dŽpendait et peut-tre mme sa vie.
Elle ouvrit donc la bo”te, en sortit une poignŽe de photos jaunies, quelques aiguilles de tailles diverses et une petite poupŽe en tissus.
- A nous deux Eliane !

Episode 11 Š par Zou

La poupŽe avait encore une aiguille plantŽe dans le bras. Ca nÕavait sans doute pas ŽtŽ suffisant. Fini les avertissements. Il fallait passer ˆ la vitesse supŽrieure.
Ce quÕelle redoutait le plus, se produisit.
Un bouffŽe de souvenirs lÕenvahit ˆ nouveau jusquÕau vertige.
La longue procession des caravanes comme ˆ chaque arrivŽe dans un nouveau village.
Les trompes qui sÕinsinuaient hors des cages pour marauder les salades sur les Žtals des lŽgumiers. LÕodeur des fauves dont la paille nÕavait pas ŽtŽ changŽe la veille en prŽvision de la halte. Les yeux ronds des enfants sur le bord des trottoirs protŽgŽs par une barrire de bras maternels. Le grŽsillement du porte-voix qui annonait lÕheure des reprŽsentations. Eliane et elle, soulevant lŽgrement le rideau de dentelles de la caravane pour repŽrer les lieux et surtout les marchands de bonbons. Et puis la mue du serpent, lՎgrainement des caravanes, le chapiteau qui au rythme des cris virils pŽniblement se redresse comme un Žnorme Žchassier aprs une chute, les animaux qui enfin sÕapaisent et les histoires de Rosilia aprs le coucher du soleil.
Ah Rosilia ! 120 kilos de tendresse, de rire, de madras et de couleurs. Elle Žtait venue il y avait bien longtemps ˆ la reprŽsentation de 20 H et ne les avait plus quittŽ depuis. Comme elle maniait lÕaiguille comme pas deux, elle gagnait sa croute en reprisant les costumes et sa place en raccommodant les cĻurs. Un soir Eliane et elle, en peine de c‰lins, lÕavaient surprise en train, sÕimaginaient elles, de rŽparer une poupŽe de chiffon. Rosilia leur expliqua que la poupŽe pour lÕoccasion sÕappelait FŽlismond, son mari fugueur et que lorsque le souvenir devenait trop douloureux elle se vengeait par une petite piqžre bien placŽe qui devait provoquer une belle panne dÕascenseur. Les deux fillettes imaginaient alors FŽlismond coincŽ entre deux Žtages et devant sՎchapper de la cabine par le toit.
ClŽmence sourit ˆ ce souvenir. Mais ne pas flŽchir. De la dŽtermination, que diable ! Eliane, ne mollit pas elle ! Elle a toujours ŽtŽ plus dure.
CÕest elle qui a eu lÕidŽe dÕun numŽro de lancŽ de couteaux lorsque, adolescentes il leur fallu intŽgrer la troupe. ClŽmence aurait prŽfŽrŽ dresser des caniches mais elle nÕa pas ŽtŽ entendue. Les caniches ne font plus recette, les gens veulent des Žmotions, lui a t on jetŽ nŽgligemment !
Eliane nÕa pas non plus versŽ une larme lorsque Rosilia sÕest Žteinte au soir dÕune mŽmorable reprŽsentation. Pour la premire fois ils avaient fait chapiteau comble. Il faut dire que lÕintŽgration au numŽro des CL (contraction de Calamity Lancers) de Pierrot , une personne de petite taille beau comme un dieu, faisait se dŽplacer la gent fŽminine plus que de coutume. Mais cÕest sous son oreiller que ClŽmence a retrouvŽ la poupŽe de chiffon le soir o Rosilia les a quittŽs. Sa dernire visite avait donc ŽtŽ pour elle. Rosilia savait sonder les cĻurs, avait armŽ son bras et du paradis vaudou elle devait approuver ce que ClŽmence se prŽparait ˆ faire. FŽlismond Eliane, mme combat !

Episode 12 Š par FŽe carabine

Mais il lui avait fallu attendre encore une annŽe supplŽmentaire, toute une annŽe ˆ lancer des couteaux ˆ son corps dŽfendant, toute une annŽe avant le drame qui lÕavait enfin poussŽe ˆ Žchapper ˆ lÕemprise dÕEliane.

Et quelle emprise! A la simple Žvocation de ce souvenir, le ventre de ClŽmence se nouait en une boule douloureuse - peur et colre. Bien sžr, il y avait la frustration de devoir travailler sur ce stupide numŽro de lancer de couteaux, au lieu dÕapprivoiser les chiots de La•ka, ces trois adorables pompons blancs quÕil avait finalement fallu abandonner ˆ la porte dÕun refuge de la SPA. Mais ce nՎtait pas le pire. Non le pire, cՎtait les persifflages et les ricanements dÕEliane pendant les rŽpŽtitionsÉ ŅPlus haut. Non, vise plus ˆ gaucheÉ CÕest toi qui devras recoudre le mannequin si tu rates ton coupÉ Et voilˆ! Mais cÕque tÕes nouille. On croirait jamais que tÕes ma cousine!Ó.

Et puis, il y avait eu la touche finale. DÕune cruautŽ calculŽe, savamment dissimulŽe sous ces apparences de gentillesse quÕEliane prenait toujours soin de conserver en prŽsence de tiers. Le jour o Eliane avait demandŽ ˆ Pierrot de leur servir de cible. Pour ajouter un peu de piment ˆ leur numŽro, avait-elle dit, pour mieux captiver lÕattention du public fŽminin que deux lanceuses de couteaux en tutus ˆ paillettes laissaient froid. Pierrot le nain. Pierrot lՎquilibriste. Pierrot le fouÉ Son ami Pierrot qui lÕentra”nait dans ses rves lunaires, dans la poŽsie et la clartŽ de perle de son rire, un des rares hommes de la troupe ˆ lui tŽmoigner de la sympathie, un fait dÕautant plus Žtonnant quÕil nՎtait pas en manque dÕattention fŽminine. Pierrot lunaire avec lequel ClŽmence partageait des moments dÕune complicitŽ magique quÕelle avait pris grand soin de dissimuler ˆ sa cousine.

Pierrot beau comme un dieu.

JusquՈ ce soir tragique.

Il avait suffi dÕun couteau au manche mal ŽquilibrŽ, dont la trajectoire avait pris un cours imprŽvu.

Droit vers lÕoeil de Pierrot.

ClŽmence ne gardait plus quÕun souvenir confus des heures qui avaient suivi le drame. Elle se revoyait cachŽe sous une couchette, et les minous qui lui chatouillaient le nez. Et puis, plus tard, alors que le cirque semblait sՐtre enfin assoupi, dans la caravane du directeur: la bo”te ˆ biscuits en fer blanc qui contenait la recette du jourÉ

Ce nÕest que trois jours plus tard, ˆ lÕaŽroport, quÕelle avait commencŽ ˆ reprendre ses esprits. Son maigre bagage empaquetŽ dans un sac ˆ dos, quelques vtements de rechange saisis ˆ la volŽe dans le placard et, prŽcieux viatique, la poupŽe de Rosilia. Dans sa poche, un aller simple pour Pointe-ˆ-PitreÉ

Episode 13 Š par Sahkti

Le vol lui sembla interminable. ClŽmence ne connaissait personne. Qu'allait-elle faire en arrivant lˆ-bas? Pointe-ˆ-Pitre... quelle idŽe. Un coup de folie, une envie, le nom lui avait plu et maintenant voilˆ, elle devait se dŽbrouiller seule.

Les premiers jours furent difficiles. ClŽmence logeait dans un meublŽ miteux situŽ en banlieue, elle ne voulait pas dilapider trop vite son maigre pŽcule. La solitude lui pesait. Heureusement, la poupŽe de Rosilia lui tenait compagnie. Parfois, elle avait l'impression d'entendre la voix de la douce compagne qui lui murmurait que tout allait bient™t s'arranger. La jeune femme ne quittait plus le bout de chiffon, elle l'emportait partout.
C'est ainsi qu'un jeudi matin, en fl‰nant au marchŽ afin de dŽnicher un petit boulot, elle crut entendre la poupŽe lui indiquer la direction d'une ruelle sombre. Tout au fond, une maison peinte en rouge avec un Žcriteau: "MŽlodie Bonaventure, rŽparatrice des coeurs".
ClŽmence hŽsita. Les boniments ne lui apporteraient rien. Elle s'apprtait ˆ rebrousser chemin lorsqu'elle entendit ˆ nouveau la voix qui lui disait "Entre! Entre ma fille!". Le trouble se lut sur son visage. Cette voix, pas de doute, c'Žtait bien celle de Rosilia. Mais Rosilia Žtait morte, ce n'Žtait pas possible!
En proie au tourment, ClŽmence pŽnŽtra dans la boutique en agitant bruyamment un Žpais rideaux de perles bleues. Des senteurs de cafŽ et de cannelle emplissaient la pice. Plus autre chose, une odeur ‰cre et forte, un parfum qui lui fit tourner la tte...

Quelques heures plus tard, elle reprit connaissance avec la migraine et de lŽgres nausŽes. Elle ouvrit les yeux et vit en face d'elle le plus beau des visages qui existe. Sans savoir pourquoi, ClŽmence se sentit de suite en confiance avec cette jeune femme au teint Žbne et aux yeux rieurs. Elle lui sourit, lui demanda o elle se trouvait.

- Vous tes chez moi, rŽpondit MŽlodie. Vous vous tes Žvanouie. Vous n'avez pas l'air d'aller trs fort.
- En effet... Je... je...

ClŽmence fondit en larmes dans les bras de cette inconnue et lui raconta toute son histoire. Eliane, le cirque, Pierrot, les caniches, le couteau, la fuite...
Se confier soulagea ClŽmence du poids qu'elle avait sur le coeur, il Žtait impossible ˆ MŽlodie d'interrompre cette confession et elle se mit ˆ rire devant l'enthousiasme retrouvŽ de son invitŽe improvisŽe.
Alors que la conversation allait bon train, MŽlodie ressentit un attachement particulier pour ce petit bout de femme qui venait d'atterrir chez elle. Elle lui offrit le couvert et le g”te pour la nuit. Le lendemain, elle renouvela son invitation. Quelque chose la poussait ˆ retenir la jeune femme chez elle.
De fil en aiguille, ClŽmence s'installa pour de bon chez MŽlodie. Elle faisait le mŽnage, prŽparait les repas et, surtout, s'occupait d'accueillir les clients de sa nouvelle amie. MŽlodie se dirait rŽparatrice des coeurs. Elle tirait aussi les cartes et prŽparait toutes sortes de potions aux odeurs Žtranges qui avaient le pouvoir de ramener l'tre cher mais aussi de rŽaliser d'autres souhaits que MŽlodie gardait secrets.

Les mois passant, MŽlodie initia ClŽmence ˆ quelques tours de sa magie des ‰mes. Sa protŽgŽe savait y faire, elle faisait une associŽe parfaite. Il Žtait temps de lui prŽsenter le rituel des ombres...
MŽlodie disposait d'un don que quelques rares magiciennes possdent encore. Celui de donner la vie ˆ des tres de papier. De faire battre le coeur ˆ des chimres et des personnages imaginaires tels qu'on en trouve dans les livres d'histoires pour enfants. Cela excita beaucoup ClŽmence, dont l'envie de voir bouger les hŽros qui avaient bercŽ son enfance Žtait plus forte que la crainte de se livrer ˆ une magie interdite.
Par une nuit de lune rousse, MŽlodie saisit un Žpais volume reliŽ de cuir dans la bibliothque. Elle demanda ˆ ClŽmence de lui parler de son histoire prŽfŽrŽe. Blanche-Neige et les sept nains... MŽlodie sourit. Elle aussi aimait ce conte. Surtout lorsque le prince embrassait Blanche-Neige.
MŽlodie pronona quelques formules rituelles qu'elle fit rŽpŽter ˆ ClŽmence. Elle lui demanda ensuite d'enduire chaque personnage dessinŽ sur la page d'un onguent spŽcial qu'elle avait fabriquŽ le jour mme, tout en prononant quelques mots mystŽrieux. La jeune fille s'exŽcuta et ™ magie, les hŽros de l'histoire prirent vie et forme sous ses yeux! ClŽmence riait et applaudissait, elle les regardait danser sur les pages du recueil, ses yeux brillaient de bonheur.

Soudain, son attention fut portŽe vers la fentre. A travers le rideau, elle distingua une ombre. Une forme familire. Ce n'Žtait pas possible! Comment aurait-elle pu savoir qu'elle ŽtaitŠici?
TerrifiŽe, ClŽmence se mit ˆ trembler et sans y prendre garde, laissa tomber le livre ˆ ses pieds. MŽlodie poussa un cri. Trop tard. Les petits personnages avaient disparu, les pages Žtaient devenues vierges de toute illustration, ˆ l'exception de Blanche-Neige souriante qui se livrait ˆ une ronde dansante sans qu'aucun nain ne l'accompagne plus...

Episode 14 Š par Mentor

Quelques passes des mains de MŽlodie firent sՎvanouir lÕimage de Blanche-Neige aux yeux de ClŽmence qui reprit aussit™t ses esprits et, sÕexcusant par quelques mots inintelligibles, sortit prŽcipitamment. La ruelle, rendue plus sombre encore par la faible lueur de la lune rousse, nՎtait ŽclairŽe que de rares halos de lumire filtrant ici et lˆ des moustiquaires des volets ˆ claire-voie.
Il lui fallut se rendre ˆ lՎvidence, seules deux hypothses tenaient : son imagination lui avait encore jouŽ un tour, ou bien cÕest Eliane quÕelle avait aperue. Dans le deuxime cas, cette prŽsence ne pouvait pas tre le fruit du hasard !
LÕesprit en confusion, ClŽmence retourna dans la boutique et raconta ses craintes ˆ la jolie MŽlodie, toujours prte ˆ lՎcouter et la conseiller.
Celle-ci la calma de quelques mots et lui proposa dÕapprofondir sans tarder ses connaissances en matire de magie hypnotique et de communication extrasensorielle. Il fut dŽcidŽ pour le lendemain mme une sŽance dÕinitiation sur les pentes de la Soufrire, le volcan bien nommŽ.

- En attendant, ClŽmence, conseilla MŽlodie, avale donc ceci et file dormir. Tu verras, le sommeil ne tardera pas !

En effet, le ti-punch fit son effet sans coup fŽrir et la jeune femme sՎveillait six heures plus tard aux cris stridents des kikiwis perchŽs sur lÕenseigne de la Ē rŽparatrice des cĻurs Č.

- Nous allons passer au marchŽ, ClŽmence, jÕai quelques ingrŽdients ˆ acheter. Viens. Ensuite nous irons directement ˆ Capesterre pour y retrouver mes amis.

Prs du port, le marchŽ crŽole Žtalait ses mille couleurs et ses senteurs Žtrangement mlŽes de vanille, de mangue et de poisson boucanŽÉ
Les doudous bien en chair haranguaient le chaland de leurs tonitruants Ē Alors chŽi ? Egarde ce beau gingembe ! Avec a, plus de poblme au lit ! Tu en veux combien de kilos ? Č.
Le touriste au sourire gnŽ regardait ailleurs tandis que sa compagne riait ˆ pleines dents.
MŽlodie finissait ses emplettes chez une marchande entourŽe de plusieurs dizaines de sacs de madras emplis de poudres aux couleurs vives et aux noms suggestifs. Elle fit signe de loin ˆ ClŽmence qui retrouvait en chaque doudou lÕimage Š et la voix Š de sa chre Rosilia.

Les deux femmes montrent dans un vieil autobus jaune, rafistolŽ et bruyant, qui leur fit dÕabord traverser le pont de la Gabarre qui surplombe la Ē Rivire salŽe Č avant de poursuivre sa route sur Basse-Terre en direction de leur point de rendez-vous. Un trajet dÕune demi-heure sur une belle route c™tire au pied des premires pentes du volcan qui culmine ˆ prs de 1500 mtres et dont le sommet est souvent invisible, accrochŽ en permanence par les nuages.

Ė Capesterre, un couple de crŽoles les attendait ˆ lÕarrt du bus. MŽlodie prŽsenta brivement ClŽmence ˆ Lydia et Julien, celui-ci conviant bient™t les deux amies ˆ monter dans la vieille Toyota souffreteuse qui dŽmarra pŽniblement et amora sa montŽe vers les Chutes du Carbet, lՎchappement crachant un nuage bleu nausŽabond.

Une fois le vŽhicule garŽ en sous-bois prs dÕune cascade, le petit groupe sÕenfona dans un layon ˆ peine marquŽ. Aussit™t la lumire du jour sÕestompa, affaiblie par la canopŽe, milieu grouillant de vie, parfois ˆ 40 mtres du sol. ClŽmence se sentit trs vite oppressŽe. Des feuillages Žpineux interrompaient souvent la progression, Julien en tte les cisaillant ˆ grands coups de machette. La sueur, naissant ˆ chaque pore de sa peau et ˆ la racine de chaque cheveu de ClŽmence lui dŽgoulinait dans le dos. LÕair Žtait moite. La respiration devenait difficile sur ce terrain qui montait de plus en plus. La petite troupe respectait un silence total, seuls les sifflements des oiseaux-gendarmes et les coassements acidulŽs de grenouilles invisibles ponctuaient la marche.

Aprs plus dÕune heure harassante, un son continu commena ˆ se faire entendre vers lÕavant, plus fort ˆ mesure de la progression.
Julien fit un signe. La fort sՎclaircit et le groupe se trouva ˆ lÕair libre. Devant eux se prŽsentait, majestueuse, la chute dÕeau la plus impressionnante que ClŽmence ait eu le loisir de contempler : un dŽnivelŽ de 110 mtres en une seule coulŽe dÕenviron 20 mtres de large. Les rochers roux au pied de la falaise formaient une sorte de bassin naturel peu profond qui donnait envie de sÕy rafra”chir. CÕest ce que firent les quatre compagnons avec soulagement. Un subtil parfum de soufre flottait dans lÕair tide, exhalŽ par les failles de la paroi verticale aux t‰ches jaun‰tres.

Julien prit la parole :

- Mes amis, asseyons-nous sur ces pierres, formons le carrŽ. Voilˆ, nous sommes ici pour ClŽmence. MŽlodie nous a parlŽ de toi, ClŽmence. Longuement. Nous pensons que tu dois maintenant ma”triser une nouvelle facette de notre art.

ClŽmence Žtait tout ou•e et nÕaurait interrompu Julien pour rien au monde.

- Tu sais dŽjˆ bien utiliser les cartes divinatoires. Tu parviens sans peine ˆ soulager les souffrances des tres sŽparŽs. Tu as vu hier soir comment MŽlodie semblait donner vie aux images.
Mais avant que nous allions plus loin, il faut que tu comprennes que cette dernire facultŽ relve avant tout de lÕhypnose persuasive. Comprends-tu ? Les formules magiques, lÕonguent ne sont que des artifices. Seule agit la force dÕun esprit sur un autre. Cette force a dŽclenchŽ en toi la conviction de voir Blanche-Neige et ses amis prendre vie. LÕeffet de cette hypnose est persistante et la personne visŽe conserve la certitude que ce quÕelle a vu sÕest rŽellement passŽ.
On peut aller bien plus loin dans ce domaine. En ce qui te concerne, il faut que tu apprennes maintenant ˆ utiliser ces connaissances et ces pouvoirs pour TE dŽfendre ! Car tu es poursuivie par un passŽ qui veut te rattraper. Le seul moyen dÕy parvenir est de ma”triser lÕesprit de ton ennemi. De lui imposer ta volontŽ. Mais pour cela il te faut dŽvelopper ton potentiel de communication extra-sensorielle. Nous allons commencer par quelques tests si tu es prte.

Alors, pendant plus de quatre heures le petit groupe sÕadonna ˆ une sŽance trs particulire quÕun spectateur extŽrieur aurait prise pour une rŽunion de fous ŽchappŽs de Sainte-Anne. Au dŽbut quelques phrases sՎchangrent, puis des mots, puis une ou deux syllabes. Aprs une demi-heure, plus un son ne sortait de la bouche des quatre conjurŽs. Parfois lÕun Žclatait de rire sans raison apparente tandis que dÕautres faisaient des mimiques qui relevaient plus du grand guignol que du langage des signes chez les sourds-muets.

ClŽmence acquit ce jour-lˆ une parfaite ma”trise de la tŽlŽpathieÉ

Episode 15 Š par Sibylline

Eliane, de son c™tŽ nÕavait pas mal vŽcu ces derniers mois et ClŽmence aurait ŽtŽ fort surprise et modŽrŽment satisfaite dÕapprendre que cՎtait en grande partie gr‰ce ˆ elle.
Tout dÕabord, au cirque, Pierrot, Rosalia et ClŽmence partis ou hors de course, elle Žtait devenue la vedette. Les caniches chers ˆ sa cousine Žtaient les nouvelles cibles vivantes de son nouveau numŽro encore plus audacieux. Ils plaisaient beaucoup, tout comme plaisait beaucoup lÕangoisse de les voir risquer leur vie face aux habiles couteaux de lancer. LÕhomme est un loup pour le chien.
Mais le plus gros avait ŽtŽ fait par ClŽmence elle-mme qui avait si longtemps emmenŽ partout, c‰linŽ et cajolŽ cette poupŽe de chiffon qui reprŽsentait Eliane. Elle ne semblait pas avoir songŽ que, si lÕon peut nuire ˆ quelquÕun en maltraitant son effigie, on peut tout autant lui apporter beaucoup en cajolant son image. Bien malgrŽ elle, elle avait ainsi, par ses caresses et ses attentions enrichi, renforcŽ et rendue plus belle et plus puissante son ennemie de toujours.
CÕest cet influx bŽnŽfique et dŽlicieux qui avait guidŽ Eliane jusquՈ son refuge et, au moment o ClŽmence, enfin suffisamment forte et confiante, quitta MŽlodie et ses amis munie de son nouveau pouvoir, son ombre noire la suivit encore, enrichie elle aussi, et tout autant, par la sŽance vaudou. Seule diffŽrence : leur sphre de pouvoir. Si ClŽmence avait acquis la tŽlŽpathie, Eliane elle, ma”trisait maintenant la tŽlŽkinŽsie.
Elle sÕamusait beaucoup de cette facilitŽ inespŽrŽe et nÕhŽsitait pas ˆ multiplier les facŽties les plus dr™les, se livrant ˆ une multitude de blagues plut™t amusantes qui soulignaient dÕun trait dÕhumour le morne quotidien de ceux qui venaient ˆ croiser son chemin. Cependant, elle nÕutilisa jamais ce don ˆ des fins vraiment mauvaises, car, contrairement ˆ ce que sa cousine avait rŽussi ˆ faire croire ˆ certains, ce nՎtait pas elle qui, des deux, Žtait la plus mŽchante. Eliane ne faisait jamais le mal sans nŽcessitŽ. Tandis que, sous ses faux airs de Ēpauvre petite fille sans dŽfenseČ, ClŽmence, elle, Žtait capable du pire sans mme avoir quoi que ce soit ˆ y gagner.
Mais cette fois, tout de mme, Eliane sՎtait bien amusŽe ˆ rameuter sur la pelouse de sa cousine, voire sur son paillasson, cette horde de nains en pl‰tre rivalisant de grossiretŽ dans les traits et dans les couleurs. Elle Žtait sžre, ce faisant, dÕhorripiler au plus haut point une ClŽmence qui tenait tant ˆ la distinction et ˆ la sžretŽ de son gožt. Elle allait sžrement considŽrer que son honneur Žtait perdu vis-ˆ-vis de tout le voisinage.
La rŽaction de ladite ClŽmence avait toutefois quelque peu dŽpassŽ ses espŽrances. Comme elle Žtait devenue nerveuse! Un ou deux nains avaient ŽtŽ dŽtruits et pour un peu, on se serait attendu ˆ la voir surgir ˆ sa porte, lÕĻil hagard, le fusil ˆ la main. CՎtait peut-tre un peu beaucoup pour une innocente plaisanterie. Eliane faillit hŽsiter. Peut-tre pas une si bonne idŽe, aprs tout, que cette tentative de retrouvailles et de rŽconciliationÉ
Allez, cela avait assez durŽ. Il Žtait temps de se montrer et de calmer la cousine.
Avec un sourire amusŽ Eliane renvoya chez eux les nains rescapŽs et, sans tergiverser davantage, sÕapprocha dÕun pas net et sonna ˆ la porte.
ClŽmence ouvrit presque aussit™t et resta un assez long moment statufiŽe, la bouche ouverte, face ˆ la concrŽtisation brutale de ses pires cauchemars.
Un peu gnŽe et voulant lÕaider ˆ se remettre de sa surprise, tout autant que mettre un terme ˆ ce moment pŽnible, Eliane entra dans la maison, adressa un salut assez gai ˆ lÕhomme et ˆ la femme qui apparaissaient ˆ des portes du couloir et embrassa gentiment sur les deux joues une cousine au bord de lÕapoplexie.
Il y eut tout de mme encore un bon moment de parfait silence et dÕimmobilitŽ pour ClŽmence qui ne se remettait pas.
Heureusement, le tŽlŽphone sonna, la tirant de son hŽbŽtude. DÕun pas mŽcanique, elle se dirigea vers le combinŽ et dŽcrocha.
- Je sais ce que vous avez fait, lui assura, comme les autres fois, une voix chuintante.
Et je sais qui est dans la cave.